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Les ‘O d’or. Notre palmarès BD 2018

Les 'O d'or. Notre palmarès BD 2018

Lecteurs passionnés, nous sommes beaucoup à l’agence à avoir des problèmes de bibliothèques qui débordent dans nos appartements parisiens. Bandes Dessinées, Comics, Romans graphiques, Mangas… tous les genres sont source d’inspiration.

A défaut de faire un saut à Angoulême en ce début d’année, retour sur nos coups de cœur 2018.

1. Moi ce que j’aime c’est les monstres

(Emil Ferris / Monsieur Toussaint Louverture)

Journal intime d’une artiste prodige, histoire d’une enfant fascinante, œuvre différente et sur la différence, Moi, ce que j’aime, c’est les Monstres est le fabuleux OVNI de l’été 2018.

Fin des années 60 à Chicago. Karen a 10 ans, vit avec sa mère et son frère dans un sous-sol lugubre, et adore les les fantômes, vampires et autres morts-vivants. Elle-même s’imagine en loup-garou.

Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine – Anka Silverberg – se suicide d’une balle dans le coeur. Mais Karen n’y croit pas et décide de mener l’enquête. Entre le passé d’Anka dans l’Allemagne nazie, les personnages un peu louches de son quartier, et les secrets de sa famille, elle va vite se rendre compte que les monstres font partie de son quotidien.

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est une oeuvre labyrinthique et vertigineuse : une oeuvre à multiples facettes :

Imposante par sa taille, fascinante par son graphisme tout au stylo bille sur carnet d’écolier d’une densité extrême parfois oppressante, le récit fourmille de références à la mythologie et à l’histoire de l’art (certaines reproductions sont tout simplement bluffantes). Tour à tour réalistes, naïfs, enfantins… un traitement visuel unique en son genre. Pour une première BD, il s’agit d’une réelle prise de risque artistique.

Le récit est très complexe, avec en trame de fond l’enquête sur la mort d’Anka, mais il comprend de nombreuses digressions (le harcèlement à l’école, l’homosexualité, les secrets de famille, l’acceptation de la différence…) pour transformer l’album en réflexion humaine et intime, questionnements et indignations sur des sujets de société.

Le format journal nous offre un kaléidoscope d’un quotidien démultiplié par l’imagination de Karen : tout est source d’intérêt, la réalité se mêle à l’imaginaire, les monstres surgissent au milieu du Chicago des années 60. N’oubliez pas, les monstres – bons ou mauvais – ne sont jamais ceux que nous croyons.

Un petit bijou d’émotions, une oeuvre qui transcende les genres.

2. Ailefroide – altitude 3954

(Olivier Bocquet / Jean-Marc Rochette / Jean-François Rey – Casterman)

Récit autobiographique et initiatique d’un gamin (Jean-Marc Rochette) qui se rêvait guide et qui devient dessinateur.

Ailefroide, c’est l’histoire d’un gamin un peu paumé, qui tâte un peu le crayon, mais c’est surtout les toiles de Soutine qui le passionnent. Entre 2 rébellions contre l’autorité parentale et enseignante, il y a la découverte de la grimpe, la première voie, cette plongée vers une montagne qui nous attire et nous ramène encore et toujours vers elle – pour le frisson du vide, l’attrait des grands espace, la majesté des sommets.

La passion tourne à l’obsession : le Massif des Ecrins, les bivouacs dans la montagne ou à flanc de falaise, de nuit, de jour, en hivernale, en cordée ou en solo… Toujours se dépasser, faire mieux que les copains, prendre plus de risques, être le premier à oser se lancer et laisser son nom dans l’histoire de l’alpinisme…

Et puis il y a la souffrance, le sang, le deuil.

Cet album est un petit bijou, une déclaration d’amour à la haute montagne, celle qui nous exalte, celle où la mort rôde. Une relation extrême entre le narrateur et celle-ci, aussi physique qu’esthétique. Esthétique parfaitement retranscrite à travers des paysages sans artifices, des cases tout en hauteur nous donnant le vertige, un dessin abrupt tout en nervosité.

L’histoire nous captive, nous bouleverse, nous prend tout simplement aux tripes – que l’on soit un passionné de grimpe ou simplement un lecteur curieux. Le récit du passage de l’adolescence à l’âge adulte ne laissera personne indifférent : se trouver, se dépasser.

3. Malaterre

(Pierre-Henry Gomont – Dargaud)

Les Nuits de Saturne, Pereira Prétend… il n’est plus besoin de présenter le talentueux Pierre-Henry Gomont qui une fois de plus fois nous éblouit avec son nouvel album. Malaterre est une autofiction, récit revisité de son histoire familiale et sa relation avec son père disparu.

Coureur, buveur, arnaqueur… Gabriel aime sa liberté et déteste l’autorité. Un jour il a le coup de foudre pour Claudia : un mariage et 3 enfants plus tard, l’ennui et ses vieux démons le reprennent et il prends la tangente.

Il s’envole pour l’Afrique où il achète un vieux domaine colonial. Après 5 ans sans donner de nouvelles, il refait surface, reconquiert ses enfants à grands renforts de cadeaux et convainc un juge d’en obtenir la garde exclusive – du moins celle des 2 aînés qu’il emmène avec lui en Afrique.

Gabriel a beau aimer ses enfants, une fois seul avec eux, il s’en désintéresse, devient négligent et distant. Il les envoie dans une école à la capitale. Les adolescents sont livrés à eux-mêmes, faisant l’apprentissage de la vie sans leurs parents, préférant grandir seuls dans un pays étranger plutôt que dans la grisaille parisienne. Lucides, ils en viendront à détester leur père.

Ce (très) bel album nous plonge dans l’ambiguïté des relations entre parents et enfants. Il s’agit avant tout du destin d’un homme excessivement rocambolesque et d’une grande générosité. Il a beau être égocentrique, manipulateur, menteur… le personnage est attachant. Entre manipulations et belles promesses, il aura réussi à abandonner, retrouver puis séparer sa famille ; faire fortune puis tout perdre ; être honnis puis aimé ; un amour filial plus fort que tout pour ce père hors du commun.

Le trait de crayon de Pierre-Henry Gomont ne fait que renforcer la vitalité et la folie du personnage : toujours en mouvement, cigarettes explosives aux lèvres. De même l’imposante demeure coloniale perdue au milieu de la jungle, la beauté et l’exotisme des lieux sont retranscrites à travers des planches aussi luxuriantes, colorées et foisonnantes que la forêt tropicale.

Fascinant et flamboyant pour son dessin – aussi dense et coloré que le scénario – Malaterre est une grande fresque humaine où tout sonne parfaitement juste.

4. L’odyssée d’Hakim

(Fabien Toulmé – Delcourt)

De la Syrie à la Turquie, l’histoire vraie d’un entrepreneur qui a dû quitter famille, amis, entreprise… pour fuir la guerre et la torture.

En pleine crise migratoire, les chiffres des morts en méditerranée ne sont plus qu’un constat quotidien passant inaperçu et laissant le citoyen indifférent. Cri du coeur ou cri du peuple, Fabien Toulmé choisi de rencontrer Hakim, réfugié Syrien, et de raconter son terrible périple.

D’une enfance marqué par la dictature aux débuts de la guerre à Damas, en passant par les premières manifestations… le récit d’une liberté déjà amoindrie qui finie par disparaître complètement – pour finalement choisir l’exil et sauver sa peau. Liban, Jordanie, Turquie, France… à chaque étape l’humiliation, l’exploitation par des employeurs peu scrupuleux, la solitude, le rejet.

Il ne s’agit pas de trouver ailleurs une vie meilleure, mais simplement de traverser l’enfer pour survivre. Entre espoir et violence, quand un conflit vous force à tout abandonner et fait de vous un réfugié.

Témoignage brut et journalistique, l’Odyssée d’Hakim est un album terriblement réaliste. Fabien Toulmé nous raconte ce périple avec beaucoup de justesse, et une empathie rare.

Un album intime et plein d’humanité.

5. L’homme Gribouillé

(Serge Lehman / Frederik Peeters – Delcourt)

Fantastique, historique, thriller, sociologique… un mélange des genres totalement surprenant qui nous tient en haleine du début à la fin.

Betty Couvreur s’ennuie dans un quotidien banal, vivant dans l’ombre de sa mère Maud, célèbre auteure pour enfants. Après que sa mère ait fait un AVC, Betty reçoit la visite d’un terrifiant maître-chanteur mi-homme mi-corbeau, qui vient lui réclamer son dû… Qui est-il ? Que veut-il ? Betty et sa fille Clara se lancent dans une enquête improbable, un voyage initiatique qui les emmènera sur les traces de Maud, et leur fera exhumer un secret venu du fond des âges.

Entre secrets de famille, légendes médiévales et sociétés occultes… ce récit torturé (et inspiré) nous embarque à un rythme fou. Plus de 300 pages d’une ambiance noire et inquiétante digne des plus grands polars.

Les dessins de Peeters sont toujours aussi envoûtants : des planches où l’eau ruisselle en permanence renforçant l’atmosphère étouffante du récit, une noirceur du trait qui colle parfaitement à la complexité des personnages… Pour ceux qui ont aimé Lupus, Pilules Bleues… vous verrez c’est encore une fois du grand Peeters !

Un album inclassable et inattendu.

(Ré) 
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