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Le côté obscur des moteurs de recommandations

Le côté obscur des moteurs de recommandations

Ah le désespoir des soirées et weekends pluvieux ! Mais oui, vous savez bien… Ces micro-drames qui se jouent dans nos foyers, lorsque la volonté d’aller explorer le monde qui nous entoure a atteint des profondeurs abyssales, que l’on s’est réfugié sous nos couettes et qu’au bout de 3 heures de visionnage non-stop, on ne sait plus trop quoi regarder sur Netflix, OCS ou encore Amazon Prime Video.

Un instant de panique, puis il apparaît. Ah quel soulagement ! Il est là ! Ce cher ami le moteur de recommandations, qui d’un chaleureux ‘’Notre sélection parce que vous avez regardé Truc-Bidule’’ vient délicatement relancer notre hymne à la procrastination en nous proposant des heures et des heures de visionnage supplémentaire.

Car il faut bien l’avouer, ils sont omniprésents. Les algorithmes cherchent à nous influencer et à guider nos choix quotidiens : Quel livre acheter ? Quelle chanson télécharger ? Que commander à dîner pour ce soir ? Et même… Quelle personne pour ma prochaine date ?

Ils ont su se faire une place de premier rang à l’ère du digital et servent à la fois acheteurs et vendeurs.

  • Les premiers en leur épargnant bon nombre d’efforts et de temps passé à explorer une offre devenue aujourd’hui pléthorique.
  • Les seconds en permettant de fidéliser les consommateurs et de stimuler leurs ventes grâce à des expériences différenciées.
Netflix – Les préconisations par titres

Mais comme pour d’autres technologies, les systèmes de recommandations sont également la source de conséquences inattendues. C’est tout du moins ce qu’a démontré une étude récente conduite par Gediminas Adomavicius, Jesse C. Bockstedt , Shawn P. Curley, Jingjing Zhang1.

En effet l’étude prouve que loin de refléter simplement les préférences des utilisateurs, ils les façonnent véritablement et impactent les ventes de manière imprévue.

Great job guys!

Il faut bien avouer que les algorithmes de recommandations sont efficaces. Des études complémentaires le prouvent : environ 30% des pages consultées sur Amazon résultent de recommandations2, plus de 80% du contenu visionné par les abonnés de Netflix également3 et plus de la moitié des écoutes mensuelles sur Spotify proviennent des playlists personnalisées4 (sur près de 40 millions d’abonnés et plus de 8 000 artistes).

Spotify – Les découvertes de la semaine

Leur intérêt s’avère être d’autant plus pertinent pour des produits à caractère culturel, qui reposent fondamentalement sur l’expérience et les goûts, tels que la musique, la littérature ou les films.

Avec des tarifs de vente très bas ou même une relative ‘’gratuité’’ (car inclus dans l’offre d’abonnement), on pourrait s’attendre à ce que les acheteurs hésitent moins sur ce genre de produits (quitte à regretter quelque peu leur achat par la suite et expérimenter une petite frustration). 

L’étude montre qu’au contraire les utilisateurs passent beaucoup plus de temps à étudier l’offre dans ce contexte et les algorithmes capables de formuler des recommandations personnalisées pertinentes y apportent des avantages importants. Ils réduisent considérablement les temps de recherche et d’évaluation de l’intérêt d’un produit, génèrent plus de ventes et présentent de nouveaux articles désirables aux yeux des utilisateurs.

Plus qu’une simple recommandation

Pour l’utilisateur, le mécanisme par le biais duquel aboutissent ces résultats personnalisés est relativement facile à appréhender et comprendre. Il sait instinctivement qu’ils sont basés sur ses activités ou habitudes d’achat passées ou encore ses préférences exprimées via des wishlists. Rien de très obscur ni de surprenant donc à la vue d’un « Notre sélection pour … » sur Netflix ou encore de l’incontournable « Les clients ayant acheté cet article ont également acheté. » sur Amazon.

Cependant l’étude montre que ces recommandations font beaucoup plus que simplement proposer quelque chose. Elles façonnent également fortement notre comportement et impactent de façon curieuse l’expression de nos préférences.

Les moteurs de recommandations nous poussent à remettre en question nos propres attentes, nos propres choix. La question n’est plus ‘’Est-ce que j’aime ça ?’’ mais ‘’Est-ce que je devrais aimer ça ?’’

L’étude de Adomavicius, Bockstedt, Curley et Zhang s’est principalement focalisée sur le secteur de la musique en ligne et sur l’influence qu’ont les recommandations sur l’acte d’achat. Les nouveaux acteurs de distribution dans ce secteur tels que Spotify, Apple Music ou Google Play Music ont profondément modifié ce marché.

Les canaux de distribution numériques, y compris les abonnements payants, le streaming sur demande et les plateformes de téléchargement représentent actuellement 80% du marché de la musique aux Etats-Unis, 48% pour le marché français.

Apple Music – Les suggestions ‘For You’

L’étude a porté sur un panel de 169 individus, habituellement consommateurs de musique. 

Lors de la première expérience, les participants ont écouté des chansons, effectué une sélection et ont ensuite exprimé combien ils seraient prêts à payer pour ces morceaux. Tous les participants étaient persuadés que les recommandations avaient été calculées sur la base de leurs préférences à partir de données antérieures. En fait, toutes ces notes (allant de 1 à 5) ont été saisies de façon totalement aléatoire par les chercheurs et ne correspondaient en rien aux goûts des participants.

Résultat : les consignes des algorithmes ont fortement influencé l’acte d’achat. Une augmentation d’une étoile du niveau de recommandation a entraîné une augmentation de 12% à 17% d’achats supplémentaires par les participants. Un résultat très convaincant, car les recommandations aléatoires n’étaient pas liées aux préférences réelles des participants.

Plus surprenant, les mêmes effets se sont produits pour des préconisations réelles contenant des erreurs. Dans la deuxième expérience, ils ont utilisé des recommandations réelles et ont intentionnellement introduit une erreur aléatoire sur l’ensemble du catalogue, allant de -1,5 étoiles à +1,5 étoiles. Encore une fois, les participants ont privilégié les plus (faussement) positives avec une augmentation d’achat de 10% à 13% en moyenne.

Quels impacts pour les consommateurs et marchands ?

A la vue de cette étude, ces moteurs peuvent potentiellement présenter un côté obscur et la question est : peut-on véritablement leur faire confiance ? Après tout et comme cela a été le cas lors de l’étude, les préférences sont facilement manipulables, mais aussi les algorithmes utilisés sont loin d’être clairs et certains systèmes peuvent être tout simplement défectueux. Car même en écartant une manipulation directe et volontaire impactant les résultats, l’erreur aléatoire est un réel problème. Lors de leurs recherches, ils ont relevé que des systèmes de recommandations parmi les plus performants comme celui du concours Netflix Prize, étaient en moyenne erronés de 20% dans leur échelle de notation (c’est-à-dire une erreur d’environ 0,8 sur une échelle de 1 à 5 étoiles). 

La surestimation tout comme la sous-estimation des préconisations posent problème. Un indice élevé erroné incitera à l’achat mais provoquera à terme une frustration post-achat pour le consommateur. Tout comme un indice bas erroné détournera potentiellement un consommateur d’un produit qui pouvait lui convenir parfaitement. L’impact sur l’expérience d’achat est donc négatif dans les deux sens.

Dunhill – Les recommandations “Complétez votre look” et “Choisis pour vous”

Et cela ne s’arrête pas là car les effets se répercutent dans le temps au-delà de l’acte d’achat. Un consommateur frustré via ses notes et avis qui seront négatifs va biaiser et ‘’contaminer’’ le système et proposera des préconisations encore plus erronées. Cela impactera également le marchand qui aura une vision artificiellement erronée de la précision de son système et compromettra sa capacité à améliorer son moteur.

Il est nécessaire pour un marchand de prendre conscience qu’une préconisation parfaite est impossible et que les répercussions peuvent être néfastes sur ses ventes. 

Afin de réduire ces effets négatifs, l’étude préconise de concentrer les efforts d’une part sur la conception d’algorithmes poussés et innovants, et d’autre part sur une interface utilisateur véritablement adaptée. Elle insiste également sur le fait que ces deux éléments doivent être régulièrement éprouvés et améliorés via des tests utilisateurs. 

Références

  • 1‘’Effects of Online Recommendations on Consumers’ Willingness to Pay’’ par Gediminas AdomaviciusJesse C. Bockstedt , Shawn P. CurleyJingjing Zhang
  •  Gediminas Adomavicius et Shawn P. Curley sont tous deux professeurs en Sciences des Décisions et de l’Information à la Carlson School of Management de l’Université du Minnesota.
  • Jesse Bockstedt est professeur en Systèmes d’Information et Management des Opérations à la Goizueta Business School à l’Université Emory.
  • Jingjing Zhang professeur assistant en Systèmes d’Information à la Kelley School of Business de l’Université d’Indiana.
  •  2“Estimating the Causal Impact of Recommendation Systems From Observational Data” par A. SharmaJ.M. Hofman et D.J. Watts – ACM Conference on Economics and Computation (Portland, Oregon)
  • 3“The Netflix Recommender System: Algorithms, Business Value, and Innovation” par C.A. Gomez-Uribe et N. Hunt – ACM Transactions on Management Information Systems 6, N°4 (Janvier 2016)
  • 4“The Most Streamed Music From Spotify Discover Weekly” par E. Van Buskirk (Juillet 2016)

(Ré) 
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