sun
Retour

Le futur de l’UX Designer, ou… “Je sais que je ne sais rien.”

Le futur de l’UX Designer, ou... “Je sais que je ne sais rien.”

J’ai toujours tenté d’aborder mon travail en gardant en tête cette phrase prêtée à Socrate. Non pas par nostalgie de mes cours de philosophie ou encore en ma qualité d’ancien helléniste, mais bel bien parce que cet adage est le point de départ essentiel à n’importe quel travail d’UX.

Prendre conscience que l’on ne sait rien sur le sujet que l’on va devoir aborder (même si cela est faux) est la meilleure garantie d’amener sa mission à bien en y apportant le plus de pertinence. Elle est la source de l’empathie essentielle à notre métier, du désir et du besoin d’exploration du sujet nécessaire à la réussite d’un projet.

Cependant, depuis quelque temps, cette phrase revêt un tout autre sens : à savoir qu’il va être nécessaire de repenser en profondeur la profession d’UX Designer dans les années à venir. C’est devenu une certitude pour moi, une nécessité même et ce pour plusieurs raisons.

Vers la mort annoncée de l’UX Designer ?

Alors non, il ne s’agit pas de brandir une fois de plus le spectre de la mort annoncée des UX Designers, comme certains ont bien voulu nous le faire croire ces derniers temps, notamment avec l’apparition des chatbots

Bon nombre de “spécialistes”, parfois (souvent) autoproclamés, se sont acharnés à nous persuader que les chatbots allaient totalement reconditionner l’expérience utilisateur, que l’IA (Intelligence Artificielle) répondrait de façon parfaite à leurs besoins et qu’il ne nous restait plus, à nous UX Designers, qu’à pleurer en rangeant dans des cartons nos personas, jeux de tri de cartes, journey maps et autres outils qui constituent notre quotidien. Heureusement les faits nous ont montré que ce n’était pas le cas et que ça ne le serait probablement jamais.

Tout d’abord parce que ces petites IA ont besoin qu’on leur montre la voie. A ce jour, un chatbot ne prouve son efficacité que si un UX Designer (tiens donc) prend le temps d’écrire et de peaufiner des scénarios d’exploration pertinents. L’autre problématique est que les utilisateurs ne leurs font pas confiance. Les études de Berkeley J. Dietvorst1, professeur à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, l’ont prouvé : même si les utilisateurs se disent assez intéressés par la chose (45%), leurs réponses suivantes prouvent qu’ils sont “sceptiques” (40.1%),  “pas rassurés” (39.1%), et même “suspicieux” (29.8%) quant à leur utilisation et les réponses qui leurs sont proposées. En résumé, les gens ne font pas confiance aux décisions, aux réponses ou aux recommandations de l’intelligence artificielle. A qui la faute ? Un peu à tout le monde à vrai dire…

La première erreur (donc leçon) est que la technologie ne fait pas tout ou plutôt n’est pas valable pour tout si elle est mal conçue et mal employée. Cet échec vient du fait que, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cet outil n’a jamais été véritablement pensé “User Centric”. S’il l’avait été, l’adhésion des utilisateurs aurait été bien supérieure à ce qu’elle est. Et les chiffres évoqués plus haut ne seraient pas à un tel niveau, véritable révélateur indiscutable des frustrations utilisateurs. Intéresser davantage d’UX Designers à sa conception aurait sûrement permis d’éviter ce genre d’écueils.

La deuxième erreur (et là aussi leçon) est que les UX Designers n’ont peut-être pas su s’intéresser à la chose (moi le premier, je vous l’avoue, mea culpa), ou tout du moins pas suffisamment et trop tard. C’est peut-être là le signe que notre profession, bien que baignée dans une vieille constante, souffre désormais d’automatismes récurrents qui, jours après jours, provoquent sa disparition. Car après tout, soyons francs, des propos comme “Une captation de prospect par un formulaire ? T’inquiète gars, c’est comme le projet du mois dernier, je te fais ça en deux deux !” ou bien encore “Un chatbot dans un tunnel d’achat ? Mais pas besoin ! Je maîtrise, je te fais ça en trois étapes maxi. Il ne sert à rien le chatbot !” ne relèvent pas de la fiction.

Non pas de mort, mais plutôt une mue.

A vrai dire, le chabot n’est qu’un exemple d’une technologie qui est venue bousculer les “habitudes” des UX designers. Et dès demain, ce ne sera qu’un exemple parmi tant d’autres. Il faudrait être fou pour penser que ces nouvelles technologies, quelles que soient leurs formes ou leurs applications, ne seront pas légions à l’avenir. Les types de terminaux se multiplient, les interfaces qui les caractérisent aussi, tout comme les capteurs et moyens d’interagir avec eux. Il est vital pour la profession de prendre en compte ce bouleversement, de l’anticiper et de véritablement l’intégrer à notre travail de réflexion et notre processus métier.

Songez qu’il y a seulement quatre ans, les premiers lecteurs d’empreintes faisaient leur apparition sur nos smartphones. Dans ce laps de temps, nous avons multiplié les moyens d’interagir avec eux (reconnaissance faciale, vocale, de mouvement avancé, etc.). Toutes ces avancées nous poussent à concevoir aujourd’hui des interfaces en mesure d’exploiter tous les bénéfices apportés par ces capteurs, à en tirer pleinement parti afin de répondre au mieux aux besoins exprimés par les utilisateurs. Il s’agit également d’anticiper leurs attentes en trouvant les moyens de lier ces avantages technologiques aux besoins cachés et latents des utilisateurs. Par exemple dès demain, sur nos TVs, smartphones, montres connectées, des capteurs d’eye tracking nous permettront d’anticiper en live le parcours d’un utilisateur dans une interface et ce, beaucoup plus rapidement que par une interaction gestuelle ou vocale. Nous n’y parviendrons pas sans IA, mais l’IA n’y parviendra pas non plus sans nous. C’est autant de stories, de parcours, qu’il nous faudra, nous UX Designers, envisager, concevoir, écrire, adapter, peaufiner, réaliser. Notre valeur est là et continuera à être là.

La clef : l’innovation

Une mue donc, mais en ayant comme cible l’innovation. Comment faire ? En oubliant quelque peu nos process et méthodologies UX pour nous rapprocher de celles du Design Thinking. Elles nous permettent d’avoir une vision plus complète des enjeux projets, dans laquelle on embrasse à la fois et plus largement les facteurs humains (utilisateurs et clients), l’aspect technologique et la réalité business. C’est en répondant correctement à ces trois questions que l’innovation prend vie. C’est elle qui nous permettra d’apporter des réponses adéquates et novatrices, et ajouter de la valeur au métier d’UX.

Tout d’abord il s’agit de ramener l’utilisateur au centre de nos préoccupations et le client plus encore.

Great UX doesn’t guarantee a great Customer Experience”
(Une bonne UX ne garantie pas une bonne expérience client).

Adam Richardson(

Les retours d’expériences post conception (CX) deviennent de plus en plus importants pour les futures itérations en révélant les “unmet needs” (les besoins cachés) et en permettant de lier la techno à l’UX. Prenez l’exemple du système de scan de carte de crédit pour la saisie des informations de paiement. Depuis quand ce système est répandu ? Très récemment. Depuis quand la technologie est disponible ? La caméra ? L’ICR (Intelligent character recognition) ? Presque une éternité à l’égard de l’histoire des smartphones : 8 ans. Alors pourquoi n’a-t-il pas été déployé avant ? Parce que nous UX, nous étions sûr de notre méthodologie, de notre savoir. Si nous avions prêté plus attention au CX, à observer l’usage, nous nous serions bien évidemment rendu compte que n’importe quel utilisateur rencontrait des difficultés à saisir ces informations (leur CB dans une main, leur smartphone dans l’autre) et qu’une autre voie était possible car la technologie était déjà là.

De la même façon, il faut également prendre en compte la technologie beaucoup plus que nous le faisons aujourd’hui. Anticiper les nouvelles technologies prochainement déployées afin d’anticiper nos futures interfaces, les moyens d’interagir avec elles, d’apporter un plus grand confort d’usage et une plus grande satisfaction à nos utilisateurs. Mais aussi avoir une réflexion poussée sur l’IA, la façon dont elle peut nous servir, dont elle peut servir les utilisateurs et comment y greffer notre expertise. Comme l’explique Thomas H. Davenport3 dans son livre The AI Advantage : “Beaucoup d’entreprises aujourd’hui annoncent fièrement « On a une IA ! », et « Elle a été intensivement testée. ». Mais est-ce que c’est seulement suffisant ? Que signifie « Nous avons une IA » ? A vrai dire pas grand-chose, à partir du moment où elle n’a pas de réalité tangible pour l’utilisateur, qu’elle n’a pas été pensée et normée par des designers. ” En clair, l’IA n’est pas notre ennemi. C’est un outil comme un autre. A nous de l’employer à bon escient, de participer plus activement à son élaboration, de rendre cette expérience riche pour nos utilisateurs.

Enfin, ne perdons pas de vue le caractère business et stratégie digitale de nos projets. Comme pour les sujets précédents, nous devons nous impliquer plus que nous n’avons l’habitude de le faire. Là aussi les challenges sont trop importants pour que le sujet soit simplement effleuré. En termes de maturité digitale dans leur transformation, les entreprises sont divisées en trois groupes : Early, Developing et Maturing. Les études de Jeanne Ross4, chercheuse au MIT prouvent que les deux premiers groupes mettent en place des stratégies digitales qui ne correspondent ni véritablement à leur cœur de métier, ni aux besoins réels de leurs utilisateurs et clients, et c’est là la principale raison de leur échec. “Vous devez impliquer vos clients et utilisateurs dans le processus de définition de vos offres digitales, à la designer et concevoir avec eux.” ajoute-t-elle. Et c’est là précisément notre rôle !
Mais notre importance est également dans la captation des besoins utilisateurs déjà existants, notamment les latents, afin d’être force de proposition pour de nouveaux business digitaux.

Au final, quelles perspectives pour demain ?

Au-delà de l’aspect auto-critique de cet article, il s’agit d’appréhender et d’anticiper le futur de l’UX Designer. Il est clair pour moi que notre champ d’investigation et de compétences doit s’élargir afin de répondre aux problématiques de demain et à celles auxquelles dont nous devons déjà faire face aujourd’hui.

L’un des moyens à notre disposition est de sortir de notre “cadre de confort”, d’être encore plus “open minded” que nous ne le sommes, en adoptant des méthodologies annexes et complémentaires, telles celles qui ont fait leur preuve en Design Thinking. Elles sont aptes à nous proposer un plus large champ de vision sur notre métier et les projets dans lesquels nous nous investissons, à rendre notre action plus pertinente et riche.

La question qui reste en suspens est “Jusqu’à quand est-ce que ce sera valable ?”

En effet, plusieurs études révèlent déjà que de nouvelles catégories de postes vont faire leurs apparitions dans le digital et auxquelles les entreprises ne sont pas préparées. Des postes qui pourraient découler de l’UX Designer ou en constituer des branches spécifiques. C’est par exemple le cas des “AI Sustainers” ou encore des “AI Trainers”, à savoir la personne en charge de “l’éducation” des intelligences artificielles, qui leur apprendra comment se comporter, comment guider les utilisateurs, comment répondre au mieux à leurs attentes.
Comme c’est le cas pour de nombreuses transformations technologiques, les défis sont souvent plus humains que techniques. A nous, UX Designers, d’y avoir notre place.

Références

1 . Berkeley J. Dietvorst est professeur à la Booth School of Business de l’Université de Chicago. Ses recherches sont publiées dans Journal of Experimental Psychology: General, Management Science, and Academy of Management Journal. Il est également consultant pour le Financial Times, la Harvard Business ReviewThe New York Times, et The Boston Globe.

2 . Adam Richardson est Group Product Manager chez Financial Engines, et était auparavant Directeur Stratégique à l’Innovation chez Frog Design. Il est l’auteur de Innovation X: Why a Company’s Toughest Problems are its Greatest Advantage.

3 . Thomas H. Davenport est président du Distinguished Professor of Information Technology and Management au Babson College de Wellesley (MA). Il est l’auteur de The AI Advantage (MIT Press, 2018)

4 . Jeanne Ross est chercheuse en chef au MIT Center for Information Systems Research (CISR)

(Ré) 
Incarnez-vous !

Changez de positionnement, de logo, 
de territoire graphique...